Jardin botanique de Melbourne (mars 1995)
L’Eucalyptus globulus fut introduit en Algérie par l’homme d’affaires français Prosper RAMEL, qui s’était épris de l’arbre au cours d’un voyage en Australie. RAMEL s’était procuré des graines auprès du directeur du jardin botanique de Melbourne et les avait ramenées en France en 1854. Un peu plus tard, il les avait expédiées en Algérie. RAMEL était convaincu que les arbres d’eucalyptus pourraient couvrir les montagnes, assainissant les marais et chassant les fièvres.
Les premières expériences de diffusion de l’eucalyptus furent menées avec succès, en 1861 et 1862, par Auguste HARDY au jardin d’essai du Hamma avec des graines fournies par RAMEL. Un an plus tard les colons commencèrent à introduire ces arbres exotiques. Les premières plantations furent effectuées en majorité dans la Mitidja, une zone marécageuse au sud d’Alger. RAMEL lui-même fit pousser des eucalyptus à Hussein-Dey. La plupart de ces propriétaires espéraient que les plantations d’eucalyptus aideraient à assécher les zones marécageuses et à purifier l’air des miasmes qui, croyaient-ils, étaient la cause des fièvres si meurtrières en Algérie. Ils les plantèrent également comme haies brise-vent pour les cultures, et pour fournir du bois de construction et de combustible.
La plus grande des premières plantations coloniales fut celle de François TROTTIER. Entre 1865 et 1876, TROTTIER planta près de quarante hectares sur son domaine à Hussein-Dey, Maison-Carrée et Fondouk dans la Mitidja. Il fut selon l’un de ses contemporains en France, « saisi par la fièvre de l’eucalyptus ». Dans le même temps, dès 1867, TROTTIER écrivait plusieurs ouvrages, outre ses rapports, pour défendre cet arbre et le reboisement de l’Algérie.
Il est considéré comme le vulgarisateur, « l’apôtre » de cer arbre exotique et il est en grande partie responsable de son adoption à grande échelle dans la colonie. Aussi pendant dix ans, c’est par centaines de mille que l’eucalyptus est planté et les noms de RAMEL et TROTTIER sont dans toutes les bouches ».
Le Docteur Eugène BERTHERAND, membre du conseil d’hygiène et de sécurité publique à Alger estima que, en 1876, environ 1,5 millions d’eucalyptus avaient été plantés dans les trois provinces d’Algérie. En 1878, une brochure écrite pour l’Exposition universelle de Paris affirmait que près de quatre millions d’arbres avaient été plantés.
Peu de temps après la publication en 1867 du livre de Mr. TROTTIER, notes sur l’eucalyptus et subsidiairement sur la nécessité de reboisement de l’Algérie (qui connut une seconde édition peu de temps après), la Société Algérienne avait planté 100.000 eucalyptus autour du lac Fetzara dans la province de Constantine et la Compagnie franco-algérienne 135.000 dans les plaines de l’Habra et de la Macta.
En plus des colons et des sociétés commerciales, les militaires, les municipalités et les ingénieurs du Service des Ponts et Chaussées plantèrent des eucalyptus sur une grande échelle. L’eucalyptus était supposé réduire les fièvres intermittentes (paludisme) chez les travailleurs. Il fournissait également du bois pour la construction, les poteaux télégraphiques, les lignes de chemin de fer, les étais des puits de mine, les navires de guerre et le chauffage. Le succès de l’eucalyptus fut tel en Algérie qu’un essai de 1876 sur le sujet faisait remarquer que « l’étranger qui ne serait pas instruit de l’origine exotique de l’eucalyptus pourrait le prendre pour l’un des arbres de la région ».
Vingt ans plus tard, un médecin qui possédait une ferme au sud d’Alger notait que la plupart des villages avaient des bosquets ou des allées d’eucalyptus. Le rôle de TROTTIER dans la promotion et la diffusion de l’eucalyptus fut jugé une contribution assez importante à l’Algérie pour qu’il reçût la très convoitée Croix de la Légion d’Honneur en 1878.
TROTTIER né en France, à Montjean sur Loire (Maine et Loire) en 1816, avait voyagé en Algérie avec l’armée. En 1839, l’ayant quitté, il était resté comme colon, élevant du bétail et produisant ensuite du lin et du coton. Il était devenu maire de la commune de La Rassauta (Fort de l’eau) dans les années 1850, période durant laquelle il avait contracté la malaria. Dans les années 1860 et 1870, TROTTIER était assez connu et influent. Il était maire d’Hussein-Dey au début des années 1870 et président de la Société pour l’encouragement du reboisement en Algérie, qu’il avait contribué à établir. Ses publications et ses réalisations furent remarquées et citées dans la littérature sur l’Algérie jusque dans les années 1930.
TROTTIER déclarait dans le livre cité plus haut que l’eucalyptus sera le grand produit sur une période donnée. François TROTTIER « l’apôtre de l’eucalyptus », l’invoquait pour justifier ses plantations d’eucalyptus, refuser la propriété communale et limiter les activités de subsistance traditionnelles des Algériens. Fait important, il l’utilisait pour promouvoir la gratuité des terres d’Etat puisque, comme il l’expliquait, le gouvernement pouvait et même devait fournir gratuitement des terres aux planteurs afin d’augmenter le couvert forestier de l’Algérie.
Il ressort cependant de ses publications et de documents d’archives que l’objectif premier de TROTTIER était d’ordre économique. Il croyait devenir riche grâce à l’eucalyptus. Il espérait que ces arbres à croissance rapide pourraient remplacer le chêne lucratif mais à croissance lente. Il avait comme avantage supplémentaire le fait que les terres plantées en eucalyptus devenaient disponibles pour les cultures au bout de vingt ans, c'est-à-dire le laps de temps nécessaire pour l’abattage des arbres adultes. Il révélait bien que son principal intérêt était d’ordre économique et non pas climatique, ni écologique, ni même patriotique (fournir l’Algérie et la France en bois).
Bon nombre des idées exprimées par TROTTIER dans ses écrits, y compris son interprétation du récit environnemental décliniste, furent approuvées durant la période coloniale. Il était cité, par exemple, dans le catalogue sur les forêts d’Algérie préparé pour l’Exposition universelle de1878 à Paris. TROTTIER était aussi fréquemment invoqué par le Dr. Paulin TROLARD, fondateur et président de la Ligue u Reboisement de l’Algérie, qui se référait à lui comme le « père TROTTIER ». TROTTIER, qui avait déjà (avec l’approbation du gouvernement) aidé à créer la Société pour l’encouragement du reboisement en Algérie, devint un des premiers membres de la Ligue de TROLARD en 1882. Nombre des idées de TROTTIER, en particulier le récit environnemental décliniste, furent défendues par la Ligue du Reboisement, qui devint un lobby extrêmement puissant de 1882 à 1915.
Nota : Le Docteur Paulin TROLARD était le père du Docteur TROLARD bien connu à Hussein-Dey qui, comme son père, se prénommait également Paulin.
Source :
Les mythes environnementaux de la colonisation française au Maghreb
La thèse de ce livre est forte: la colonisation française de l'Afrique du Nord aurait donné naissance à un grand récit du changement environnemental qui se révéla une arme aussi efficace que...